Le BRIO, film d’Yvan Attal (2017)

Publié le 6 Août 2021

Ce film " le Brio"  avec les acteurs Daniel Auteuil et Camélia Jordana, nous parle de l’enjeu qu’est l’Eloquence aujourd’hui  souvent abordée comme une performance mise en concours !

En début de film de courts extraits de Jacques Brel, Serge Gainsbourg, Claude Lévi-Strauss et Romain Gary, pour qui « la France est le plus beau pays du monde ». Vrai petit délice, souvent drôle et plein de bonne humeur, ce film nous offre  de bonnes tranches de rires grâce à d’excellents dialogues. « Le Brio » fonctionne sur l’opposition des contraires et le fait plutôt bien. Il met en effet face à face un professeur de droit quelque peu réactionnaire (ouvertement raciste) et une jeune étudiante maghrébine habitant une cité.  Ils vont être obligés de cohabiter et de s’apprivoiser dans le but de participer à un concours d’éloquence qui sauvera le premier du conseil de discipline à l’insu de la seconde, qui y voit  une manière de perfectionner ses connaissances.

Deux très bons acteurs ; leurs joutes verbales sont crédibles et pertinentes et l’on croit complètement à la progression de leur relation basée sur la transmission. Rencontre d'un intellectuel cynique des beaux quartiers, et d’une jeune fille de banlieue « coupable » (vis-à-vis de ses pairs) de s'élever socialement dans un monde où l'apparence est reine. Cette jeune a un pied dans la cité où ses copains ne font pas d’études, et l’autre pied dans le monde de l’excellence universitaire. Chaque jour nouveau est pour elle une source d’écartèlement et de choix difficiles à faire et à vivre.

Ce film donne beaucoup de plaisirs ; celui que l’on prend à entendre parler les personnages, plaisir des oreilles devant un vocabulaire fleuri dans tous les champs lexicaux possibles, plaisir de voir la langue française ainsi mise en valeur. On apprécie également l’intrigue amoureuse vécue par le personnage de Camélia Jordana ; elle est totalement étanche aux petits blonds d’Assas qui la regardent, et reste fidèle à son ami de la Cité qui travaille chez Uber. Ce jeune, très intègre, « droit comme un sabre »,  parle « mal », mais il parle vrai, dans le sens où il dit ce qu’il pense, et il pense juste ! Le film se prend à son propre piège ; s’il nous émeut, c’est  parce qu’il est « vrai ». Comme le jeune ami de l’héroïne, intègre et droit.

Le professeur, très bien incarné par Daniel Auteuil, est montré dans son mal-être. Cet homme cultivé et brillant me semble avoir perdu confiance dans la capacité des mots à dire les choses ? Il emmène son étudiante  voir sa vieille mère vivant dans une maison de retraite bien catholique, sans lui dire qu’il s’agit de sa propre mère.  Celle-ci  est assise  sur un fauteuil, sans parler ni bouger, hors du monde. Mais elle réagit  tout à coup au mot « fils » dans les propos de la jeune étudiante, en disant « celui là , je le déteste, il est odieux ».

La démarche affichée du film est de déconstruire les préjugés. Une mère arabe peut être célibataire ; un groupe de jeunes des banlieues n’est pas forcément un amas de délinquants. Attal les filme avec une  bienveillance qui leur donne une vérité dépassant toute forme de discours. Au fond, le film nous dit peut-être que - dans ces moments de complicité - se cache la beauté d’une langue intransitive, qui est libre. Beauté des scènes qui se passent dans la cuisine, avec ces plats concoctés en famille et où l’humour et les reproches se mêlent subtilement.

Il s’agit d’un film riche, avec plusieurs thématiques. La vie dans les banlieues est bien traitée, ce qui n’est pas si fréquent. Mais la thématique dominante est celle du langage dans toute l’étendue des problèmes qu’il soulève. Des mots pour expliciter sa pensée ou bien la travestir. Le verbe - dont on hérite ou que l'on acquiert- peut faire mal ou réconcilier, qu’il dise la vérité ou la masque.

 Le cinéaste s’appuie sur Schopenhauer et « L’art d’avoir toujours raison » :  il ne s’agit pas de la Vérité, on s’en fiche de la vérité, il s’agit d’avoir raison. Richesse de la pensée de Schopenhauer ! La rhétorique - l’art de persuader par le discours-  peut être mise en valeur par l’éloquence. On sait bien que convaincre est un exercice qui ne nécessite pas forcément de dire la vérité et que celle-ci peut être manipulée. On mesure le sentiment de trahison que peuvent ressentir les amis de la jeune étudiante, Neïla, qui s’est appropriée la langue des « dominants », des « français » ; lorsque Neïla taquine son petit ami au sujet de son orthographe défaillante,  quand il lui envoie un texto amoureux, c’est lourd  de violence symbolique.

Le film s’attache aux drames individuels vécus par chacun des deux personnages principaux dont la rencontre est improbable. Ils sont à la fois de plain-pied dans les institutions, mais, dans le même temps, maintenus à l’écart. En raison de son origine, pour la jeune étudiante,  ou de sa conduite ( ou son inconduite), pour le professeur . Tout l’enjeu moral du film va alors être de redonner à la parole du poids, une autorité et une légitimité.  Neïla devra utiliser le langage comme un instrument, et non pas comme un pur signe d’élévation sociale ;  le professeur devra cesser de faire des mots des outils tranchants et sans cœur, masquant  la vulnérabilité de chacun, la sienne en premier lieu.

Néanmoins, l’avis du réalisateur du  film est de considérer que ce lien rompu entre les institutions et les jeunes pourrait être renoué grâce à l’intégration réussie d’individus capables de maitriser différents niveaux de langage, à même de communiquer un message porteur d’une autorité. C’est tout le sens de la scène finale, où Neïla s’est transformée en agent des institutions, lorsque, devenue avocate, elle défend un jeune délinquant. Cette réconciliation par l’intériorisation des normes peut s’accomplir par le biais de personnes issues de groupes sociaux défavorisés qui opéreront le transfert de légitimité de la parole d’un cadre donné (la cité, les espaces « populaires ») à un autre. On peut penser que ce film sonne très juste parce qu’il n’est pas très éloigné de la biographie du réalisateur. Yvan Attal est issu d’une famille de juifs algériens ;  il a vécu son enfance à Créteil …avant de devenir acteur puis réalisateur de plusieurs films inspirés de sa vie de couple avec Charlotte Gainsbourg.

Rédigé par Catherine Réveillère

Publié dans #HS

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