Isis et le secret de Rê ….

Publié le 5 Décembre 2022

Malgré son grand âge, Rê aimait à se promener et contempler le monde qu’il avait créé. Quel bonheur c’était pour lui ! Il admirait, il conseillait, il surveillait. Mais se méfiait aussi : il craignait quelque complot absurde ourdis par quelques mécontents de leur condition. Il allait donc d’un pas prudent et, à l’aube, il se choisissait un nouveau nom, car il savait que connaître le nom d’une personne donnait pouvoir sur elle.

Rê agit ainsi durant bien des années. Les dieux et les déesses s’accommodaient de cette attitude et de ce mystère, mais la sage Isis, la magicienne, avait soif de savoirs et n’aimait point qu’il y eût une borne à sa connaissance. Elle était au fait de toutes choses dans le ciel et sur la terre, de tous les secrets de l’univers, mais… elle ignorait le vrai nom de Rê et ça lui était fort désagréable, son esprit s’agaçait de se heurter à une énigme. Elle décida de découvrir, coûte que coûte du nom caché de Rê.

Elle remarqua que celui-ci laissait parfois tomber quelques gouttes de salive sur le sol au cours de ses promenades, sans doute pour fertiliser un terrain trop désertique. Elle le suivit discrètement et préleva de cette terre, humide de salive divine. Elle prit soin de la pétrir, de la modeler et en fit un serpent auquel elle donna la vie. Une fois son œuvre faite, elle abandonna l’animal sur le chemin que Rê empruntait chaque jour. S’éloignant un peu, elle attendit le passage de Rê et ce qui devait arriver arriva ! Rê ne vit pas le serpent d’Isis sur le sentier et celui-ci le mordit cruellement. La douleur envahit aussitôt Rê, une douleur brûlante comme le feu puis froide comme l’eau, puis de nouveau irradiante dans son corps tout entier et affolant le rythme de son cœur. Sueur, tremblements, vertiges, palpitations, voilement des yeux, Rê souffrait tant de la tête aux pieds qu’il appela au secours. Les dieux et les déesses accoururent, mais personne ne savait comment lui apporter de l’aide. Le mal était trop étrange. D’ailleurs Rê dans un murmure leur confiait qu’il ne savait quelle bête l’avait mordu pour le mettre dans un tel état, car il ne l’avait jamais créée. Alors, Rê supplia tous les dieux et les Déesses d’utiliser tous leurs pouvoirs magiques pour le libérer de son mal. L’un après l’autre ils firent des tentatives, mais elles échouèrent toutes.

Alors Isis s’approcha de Rê. Elle le rassura et lui promit de le guérir tout en lui glissant :

  • Dis-moi ton véritable nom ! C’est nécessaire pour que mes formules magiques agissent et t’enlèvent ton mal, car on vit dans son nom !

Mais Rê, même mal en point, se méfiait ; aussi tenta-t-il une issue :

  • Écoute, Isis, je suis celui qui fit les cieux et la terre, celui qui forma les montagnes et les vallées et tout ce qui est dessus… Je suis celui qui fit le taureau pour la vache. Celui qui ouvre les yeux afin que la lumière vienne du centre de la Terre à l’existence, celui qui ferme les yeux afin que les ténèbres s’avancent…

Mais Isis insista :

  • Quel est ton véritable nom ?

Rê, pourtant de plus en pris par les douleurs, ajouta :

  • Je suis celui dont le nom reste caché même pour les dieux et les déesses. Je suis celui qui forme les heures, ainsi les jours et les nuits de chaque existence. Je suis celui qui divise les années, qui crée les saisons, qui crée l’aube et le crépuscule…
  • Ton nom ! dit impérieusement Isis.
  • On m’appelle Képri, le frais soleil du matin, Rê le brûlant soleil de midi, Atoum le doux soleil du soir….

Le venin poursuivait son œuvre dans le corps de Rê qui sentait en lui les douleurs se multiplier et croître en intensité….

  • Ton nom, reprit Isis à la fois mielleuse et menaçante, n’est pas parmi ceux que tu viens de nommer et, je le regrette, si tu ne me le confies pas je ne pourrai pas arrêter le flux dévastateur du venin en toi !

Rê essaya encore de ruser, mais sa volonté finit par céder sous les tenailles des souffrances et il murmura son secret à l’oreille d’Isis…

  • Puissant venin, cria Isis victorieuse, abandonne le dieu qui m’a dévoilé son véritable nom, abandonne, abandonne-le…

Et Isis répéta son nom si bas que personne ne l’entendit.

  • Puissant venin, poursuivit-elle, je suis celle qui t’a créé ! Je suis celle qui t’a mis sur son chemin ! Que Rê vive et que meure le poison !

Aussitôt, sueurs, brûlures, tremblements et autres maux pénibles quittèrent Rê. Celui-ci, remis et serein, reprit sa marche.

Désormais Isis possédait son véritable nom. Grâce à son audace elle avait pris son pouvoir. Elle se promit d’en faire bon usage et de ne jamais le révéler.

Elle tint parole.

Ce récit venu de temps si lointains nous dit quelque chose de la ténacité des femmes à prendre place dans l’univers des Dieux et des Déesses, notamment en cherchant appui sur la maîtrise des savoirs et des connaissances …. Au sein de notre propre humanité, arriveront-elles à la réussite d'un tel challenge ? Seront-elles en tous lieux  reconnues pour elles- mêmes ? A quand pour elles, ce droit dès leur naissance aux mêmes chances d’épanouissement des hommes qui persistent à se penser comme les rois du monde ?

Sources du récit : «  L’Égypte ancienne » de V. Kœnig, J. Alvare, M. Duclos (Édition Belin, 2017)

Rédigé par Emereka

Publié dans #HS, #Ac

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C
C'est vraiment surprenant comme à l'autre bout du monde, en Amazonie, les Amérindiens ne dévoilent pas non plus leur vrai nom et pour la même raison. De même les paysans de la cordillère des Andes, héritiers de leur passé indigène, ne dévoilent ni leur nom ni leur lien de parenté avec les autres membres de leur communauté. Ce qui n'est vraiment pas pratique pour faire un recensement :)
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