La légende du mot

Publié le 29 Août 2021

Au début le mot était paisible

Il vivait sa vie de mot

On l'utilisait peu

Ni bonjour ni bonsoir

À peine « J'ai faim, j'ai soif »

Il se servait selon son désir

C'est tout

Parfois il criait

« Attention ! »

Et son cœur battait plus fort

Comme quand le sang bout

Mais toujours

Il suivait le cours des choses

Le mot

Et les choses venaient à lui

Naturellement

Il nommait

L'animal la plante qui tue

Celui qui se mange

Et celle qui guérit

Puis la nuit venue

Il devenait rêve

En chantant

Autour des flammes

De la mémoire

La vie était sereine

En ce temps-là

Mais un jour de pluie

Il s'est senti très seul

Le mot

Seul comme un mot de pauvre

Qui ne sait plus rien dire

Et il s'est souvenu

De la Politesse

Qu'il avait rencontrée la veille

Dans un lieu très com-il-faut

Alors il l'a demandée en mariage

Et ils ont eu beaucoup d'enfants

Qu’ils ont habillé de falbalas

De fanfreluches, de breloques

Et de dentelles ajourées

En parlant comme ça

Sur le mode emprunté

Ils ont inventé

La syntaxe, la rhétorique

Et les périphrases

Certains ont même porté

Des sous-entendus

Pour cacher leur nudité

Et des non-dits court-vêtus

Pour aguicher ceux qui les écoutaient

Et comme ils avaient un soir

Invité la Malice à dîner

Celle-ci leur a enseigné

L’art des belles paroles

Et après le dîner

Ils ont joué à un jeu de société

Où elle leur a montré

Comment tricher

Par le raisonnement et la propagande

La harangue et la manipulation

Et bien d'autres habiletés

Qui permettaient de devenir

Les plus forts même si ce n’était

Pas vrai

Des mots qui venaient

De plus loin que la gorge

Et durcissaient comme des pierres

Quand on les lançait

Des mots de maladie qui tue

Alors ils ont inventé le discours

Et le sourire avenant

Du mensonge

Et ce qui va avec…

 

Mais ce soir-là

Plusieurs de leurs enfants

Avaient été punis

Alors ils s'étaient cachés

Dans des pages

Pour n'être pas découverts

Tout en étant au chaud

Entre les lignes

Et ils avaient refermé le livre sur eux

Pour ne s'offrir qu'à ceux

Qui les aimerait vraiment

On s’est longtemps demandé

Ce qu’ils était devenus

Mais depuis lors et encore

Aujourd’hui

J'en ai vu certains

Épris de liberté

Se redresser de la page écrite

Et commencer à marcher

En suivant les lignes

Au début

Ils s'accrochaient les uns aux autres

Pour ne pas tomber

À la moindre pensée

Pour essayer de voler

De leurs propres ailes

Ils se regroupaient

En riant de cette joie contagieuse

Qui monte de l'attente

Et se bouscule dans la tête

Pour éveiller des tas d'images

Colorées comme l'amour

Et qui gardent du poème

Qui s'écrit en le lisant

Le refrain sans paroles

Et la joie de l’air qui s’envole

En souffle de vent léger

Comme un baiser d’enfant.

Rédigé par Jean-François Maury

Publié dans #AP

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