« Le livre pour sortir le jour » : des antisèches charitables !

Publié le 21 Mai 2020

 

Ce que les Egyptiens appelaient « Le livre pour sortir le jour » et que les égyptologues ont appelé « Le livre des morts » est un recueil plus ou moins codifié suivant les époques, de formules mises à disposition du défunt.  Leur objectif : aider le défunt à obtenir dans le monde des morts ce qu’il désirait.

De fait les Egyptiens n’aimaient pas la mort ;  ils étaient profondément attachés à la vie, animés par une volonté profonde pour persister dans l’éternité. Dès lors  doter les défunts du livre pour sortir le jour c’était donner à ceux ci des procédés et des outils utiles et pratiques pour continuer à vivre un peu à jamais.

Grâce à leur solidité ou aux conditions de conservation de tels outils faisaient la différence avec ce qui est léger, éphémère, fragile. Ces outils solides : ce sont précisément les tombes avec leurs chapelles décorées, les caveaux où s’accumulent des équipements funéraires et biens de ce monde, des statues, des stèles, des tables d’offrande  et des textes funéraires « pour sortir au jour ».  Tout cet ensemble hétéroclite constitue autant de multiples appuis pour la prolongation de la vie ou pour une renaissance à jamais…

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La finalité des formules écrites laissées au défunt

Dans le Livre pour sortir le jour, les formules écrites laissées au défunt  sont à utiliser de bien des manières. Un Egyptien peut les apprendre pendant qu’il est encore sur terre.  Elles peuvent être récitées par un prêtre funéraire lors de l’enterrement ou de quelque fête des morts. Mais le moyen le plus sûr  est de faire en sorte que le défunt les ait  à jamais sous la main en les inscrivant quelque part dans sa tombe, sur les murs du caveau parfois ou sur le cercueil ou encore sur quelques unes des bandelettes de lin dans lesquelles étaient emmaillotées la momie, ou sur le support le plus courant : le rouleau de papyrus.  Ce sont ces papyrus qui au sens étroit du terme sont nommés « Livres des morts »

Les présentations prises par un Livre des Morts

Une longue bande enroulée sur elle-même, haute de trente à quarante centimètres et qui une fois déroulée peut varier d’un mètre ou deux  jusqu’à une quinzaine de mètres voire vingt cinq mètres. Un exemplaire conservé au British Muséum de Londres mesure 41 mètres ! Sur la bande, le texte y est écrit soit verticalement à l’ancienne mode soit horizontalement en courtes lignes formant des colonnes ou des pages généralement de droite à gauche.

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La plupart des livres sont illustrés. Ainsi existe-t-il une grande image d’introduction représentant le mort arrivant devant le dieu Osiris mais en général chaque chapitre a son illustration souvent de petit format (sorte de vignette) placée en haut de page ou dans le corps du texte. Souvent certains chapitres comme l’hommage à Ré, les travaux dans les champs des Roseaux, la pesée du cœur, les vaches nourricières bénéficient d’une planche pleine page.

La liberté laissée au départ aux artistes avec le temps a fait place à des règles (avec le choix et l’ordre des formules imposés) et la part de l’imagination s’est réduite. Ces illustrations sont soit simplement dessinées soit rehaussées de peinture soit pour celles qui sont de grand luxe enrichies de dorures à la feuille.

La fabrication des Livres des Morts.

Les livres des Morts apparaissent tardivement au début du Nouvel Empire entre 1500 et 1400 avant Jésus Christ quand on a adopté la pratique  de dissocier les textes jusqu’alors inscrits à l’intérieur des sarcophages.

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Ces textes des Livres des Morts (sur support plus mobile donc) n’étaient pas à portée de toutes les bourses. Mais on devine qu’il s’est produit des fabrications en série pour satisfaire toute la demande. La dissociation entre texte et vignette permettait de faire plus tard l’illustration dans l’emplacement prévu mais cette liberté a entrainé aussi quelques erreurs d’interprétation entre le scribe et l’illustrateur et par suite quelques incohérences dans la suite des textes des chapitres !

Les livres étaient souvent fabriqués d’avance et personnalisés après l’achat et hélas le résultat n’était pas forcément probant. Ce n’était pas toujours une question de richesses : certains exemplaires ont appartenu à des hommes et des femmes relativement modestes. Ces livres ne sont pas forcément les plus négligés : précisément du soin a été apporté à une réalisation en « continu » avec le souci et de délivrer un bon mode d’emploi des formules que l’on avait choisi d’inscrire et pour lesquelles on mettait en plus quelques amulettes à utiliser par le défunt dans le monde des morts.

Structuration des chapitres des Livres des Morts

Le livre des Morts emporté par le défunt se présente comme une succession de formules destinées à l’aider à atteindre les buts espérés dans l’autre monde et à conjurer les craintes  devant l’inconnu après  la vie. Le  mode d’emploi indique par ailleurs la meilleure manière d’utiliser la formule : à réciter ainsi sur telle ou telle amulette, avec tel dessin, lors de telle ou telle occasion.

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(Exemple : l’œil oudjat  à placer en bracelet sur le mort en récitant le chapitre numéroté 140 – source : vers le 14 eme siècle avant JC.)

Les moyens mis à disposition du mort sont donc très précis : d’abord utiliser la prière avec un respect scrupuleux à donner à la forme, en amadouant par l’hommage, en insistant sur les qualités divines particulièrement sollicitées, en rappelant les circonstances mythologiques où elles se sont manifestées avec le plus d’éclat.

Puis, préciser au Dieu à qui il a à faire  (« … je n’ai pas fait le mal. Je n’ai pas fait comme chef d’hommes, jamais travailler au-delà de la tâche. Mon nom est parvenu à la barque de suprématie, mon nom est parvenu aux dignités de la suprématie, à l’abondance et aux commandements il n’y a eu par mon fait ni craintif, ni pauvre, ni souffrant, ni malheureux. Je n’ai point fait ce que détestent les dieux...) Une telle déclaration s’appelle une confession négative.

Autant d'informations nécessaires pour éviter l'anonymat et qui utilement précisent au Dieu comment il peut reconnaitre devant  lui une figure familière à laquelle le défunt se déclare être dans une totale filiation identitaire. (Exemple de paroles du défunt : «  … ta paralysie ne gagnera pas mes membres car je suis Atoum surgissant de l’Océan primordial et tous les dieux me protègent à jamais ») Ainsi la connaissance des êtres, des lieux  et des noms facilitent grandement la tâche du défunt dans sa traversée du monde des morts à l'appui de ses précautions charitables déposées par les vivants au moment du départ vers le monde souterrain.

L’affirmation de ses capacités par le défunt voire un zeste de menace n’est pas à dédaigner. Affirmer qu’on représente quelque part un dieu plus puissant, c’est laisser entendre qu’en cas d’hostilité ou de gêne ça pourrait aller mal. Montrer qu’on connaît un nom c’est  impliquer que toute résistance pourrait entrainer des effets terribles. 

(« Si tu tardes à m’amener mon âme où qu’elle soit, tu trouveras l’œil d’Horus dressé contre toi »)

Les objectifs des Livres des Morts

Vivre à jamais, ne pas mourir à nouveau !  Pour cela le défunt veut et doit pouvoir surmonter tous les dangers possibles comme avoir le cœur arraché, être mordu par les serpents, avoir la tête tranchée par les ennemis…

Le souhait le plus récurrent  est celui qui est exprimé par le titre même du Livre sous sa forme courte de « Livre pour sortir le jour». Cette sortie est le but essentiel. Elle est basique : elle vise à « aller sur terre parmi les vivants » et « faire que son nom » ne périsse jamais ! L’objectif poursuivi par le défunt n’est pas une demande de résurrection corporelle mais simplement l’expression de pouvoir aller et venir entre le monde des morts et le monde des vivants passant la nuit dans l’univers souterrain, puis le jour sur la terre.

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Non ! Le défunt ne s’imagine nullement que son cadavre se relèvera et ira se promener sur terre : le cadavre reste bien dans la tombe et c’est une autre partie de lui-même que l’on peut en ce cas traduire par « âme », qui quitte puis retrouve cadavre et tombeau. C’est le BÂ, un oiseau à tête humaine.  

Il y a en effet beaucoup de choses à refaire sur terre, comme revoir le soleil quotidiennement, boire sur la rive du fleuve, respirer le doux vent du nord, frissonner à la vue des roseaux courbés et à l’envol des oiseaux effarouchés… et le jour tant fait pour vivre dans la Lumière !

Source : LE LIVRE POUR SORTIR LE JOUR, Jean-Louis de Cenival, Ed: Réunion des Musées Nationaux

Rédigé par Claude Laporte

Publié dans #HS

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C
"Tu dors pour pouvoir te réveiller, tu meurs pour pouvoir vivre" ...ainsi les Egyptiens ..dans les Textes des Pyramides, formulaient l'espoir d'une régénération à travers la mort...et une renaissance dans une nouvelle vie.
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